Il était une fois… le Concours OSM

Basée à Montréal et Ottawa, la flûtiste Lara Deutsch poursuit un parcours musical qui brille par sa polyvalence et ses distinctions. De son côté, le corniste Brian Mangrum a obtenu, à seulement 23 ans, le poste de cor solo de l’Orchestre symphonique de Columbus, dans l’Ohio. Leur point commun ? Ils ont tous deux remporté un premier prix au Concours OSM, respectivement en 2014 et 2017. L’OSM les a rencontrés afin de faire un point sur leur carrière et de partager quelques conseils précieux tirés de leur passage à la Maison symphonique.

Brian Mangrum
Brian Mangrum — © Stephen Pariser
Lara Deutsch
Lara Deutsch — © Brent Calis

Quand vous repensez au Concours OSM, quel est le premier souvenir qui vous vient en tête ?

LD : Toute la semaine avait été un tourbillon. Je pense que le moment dont je me souviens le plus est celui où je suis sortie de scène après ma demi-finale. Je ne m’étais jamais sentie aussi présente et aussi libre artistiquement que durant ces 45 minutes. J’ai fait quelques erreurs sans même m’en soucier, ce qui n’est pas rien pour une ancienne perfectionniste ! Je sentais sans cesse des poussées d’adrénaline. J’étais complètement exaltée.

BM : Le premier souvenir qui me vient, c’est le moment de monter sur scène au sound-check avant les finales. En entrant dans la Maison symphonique vide, je sentais un mélange de joie et de nervosité, tout en chérissant l’opportunité magnifique que j’avais de jouer le Concerto pour cor no2 de Strauss dans cette salle.

Comment vous étiez-vous préparés à ce concours? Pensiez-vous avoir une chance de le remporter?

LD : J’ai commencé à fouiller dans mon répertoire plus d’un an à l’avance. Ayant déjà atteint les demi-finales en 2011, je savais que je devais être beaucoup mieux préparée qu’à l’époque pour me sentir en contrôle sur scène. Cela voulait donc dire de commencer très tôt, de m’enregistrer souvent, de prévoir quelques représentations simulées et de connaître beaucoup plus en profondeur mon répertoire afin de mieux le mémoriser. Je me sentais bien préparée en me présentant au concours en 2014, et cela m’a permis de croire que j’avais une chance de gagner. Cela dit, il m’arrivait de douter. Certains jours, je me sentais invincible ; d’autres jours, j’avais l’impression que je ne serais jamais prête. C’est humain, mais c’est aussi une façon de prendre conscience de l’aspect extrêmement subjectif d’une compétition artistique. On ne mesure pas la qualité d’une performance comme on chronomètre, au millième de seconde près, un sprint de 100 mètres, car les goûts du jury comptent pour beaucoup. De parvenir à comprendre cela et de ne pas me préoccuper du résultat final du concours, ça fait une grande différence.

BM : En 2017, c’est la deuxième fois que je participais au concours. En 2014, ma mémorisation n’était pas assez solide, et la semaine du concours, en répétition avec la pianiste, j’ai eu quelques trous de mémoire. Je craignais répéter ces erreurs sur scène, ce qui m’a donné beaucoup de trac, et cette angoisse s’entendait dans ma performance. En 2017, je me suis assuré de pouvoir chanter de mémoire les pièces complètes avant même de les travailler au cor.  À la longue, m’éloigner plus tôt de la partition durant l’apprentissage m’a permis d’intérioriser la musique, ce qui m’a donné beaucoup de confiance sur scène.  Je me suis souvent enregistré, et durant les semaines qui précédaient le concours, j’ai pu jouer mon répertoire pour plusieurs professeurs ; leurs conseils étaient indispensables à ma présentation. Je pensais alors qu’avec un peu de chance et une bonne nuit de sommeil, je pouvais gagner le concours !

L’importance de la préparation mentale

LD : Sans aucun doute, le meilleur choix que j’ai fait pour me préparer a été de faire appel à un préparateur mental, je dirais même que ce fut le meilleur choix de toute ma carrière. Avant le concours, j’ai réalisé que mon niveau de performance dépendait des capacités mentales permettant d’évoluer sous pression, autant sinon plus que de la qualité de ma préparation musicale. Je me considère très chanceuse d’avoir trouvé Jean-François Ménard, qui a beaucoup travaillé avec le Cirque du Soleil, ainsi qu’avec nombre d’athlètes olympiques et de grandes entreprises du monde entier. Il a complètement modifié ma façon de penser et m’a donné les outils nécessaires, non seulement pour réussir dans un contexte compétitif, mais aussi pour apprécier réellement ma prestation et ne pas craindre de prendre des risques. Entre autres, il m’a appris à « travailler intelligemment » au lieu de « travailler fort », à transformer la tension nerveuse en enthousiasme, à changer la façon dont je me parle intérieurement et à me faire confiance. Je m’entraîne toujours avec lui avant les prestations importantes, les auditions ou les compétitions. Mon seul regret est de ne pas l’avoir trouvé plus tôt dans ma carrière !

Si vous deviez participer à l’édition 2020 entièrement numérique, que changeriez-vous dans la préparation ?

LD : Premièrement, j’irais chercher de l’aide pour tous les aspects techniques de l’enregistrement, afin de garder 100% de mon énergie mentale et de prioriser le même degré d’attention qu’en temps normal. Deuxièmement, j’aborderais l’enregistrement comme s’il s’agissait d’une performance unique, en direct, en espérant demeurer très présente afin d’atteindre le plus haut niveau artistique possible. Au cours d’un enregistrement, on s’écoute souvent de façon trop analytique, en se disant qu’on peut toujours recommencer. Mais on ne peut reprendre indéfiniment une performance complète sans constater un essoufflement. De plus, on peut facilement tomber dans le piège qui consiste à viser la « perfection technique » au détriment de la musicalité.

BM : La difficulté réside dans le fait de jouer pour un micro et une caméra au lieu d’être dans une salle de concert. Alors, il faut faire semblant! Il faut retrouver la sensation de l’énergie du public, ou bien se rappeler que ce même public sera là, derrière son ordinateur ou sa télévision. C’est plus facile en théorie qu’en pratique. Bonne chance!

Le Concours OSM comme tremplin

BM : J’ai vécu immédiatement cet effet tremplin. D’abord, c’était extrêmement encourageant de remporter ce prix durant ma dernière année de bac à l’Université Rice, à Houston. Dans la mesure où j’avais plusieurs auditions de programmes de maîtrise et professionnelles qui approchaient, recevoir le prix des cuivres m’a donné un surplus de confiance au moment parfait. Financièrement, la bourse Paul Merkelo m’a permis de voyager à plusieurs auditions, incluant celle que j’ai remportée à Columbus, en janvier 2018. J’ai dépensé le reste du prix monétaire sur un nouvel instrument, qui rend la vie beaucoup plus simple au travail. Après le concours, j’ai joué plusieurs fois comme surnuméraire à l’OSM, incluant la tournée en Europe en 2019, et j’ai été invité à participer à la Virée Classique ces dernières années. Avoir reçu ce prix a donc été une aide immense pour le début de ma carrière, et j’en suis profondément reconnaissant.


Poursuivre sa route, une étape à la fois…

Bien qu’ayant remporté le même concours, les deux musiciens ont embrassé deux types de carrière bien différents. Brian Mangrum a quitté le Québec pour s’installer comme musicien d’orchestre et travailler au sein d’une institution musicale précise, tandis que Lara Deutsch a roulé sa bosse comme musicienne pigiste, multipliant les occasions de jouer et diversifiant les projets. Brian est un sportif chevronné, amateur de hockey et de soccer, une nécessité selon lui afin d’allier un esprit sain à un corps sain et d’éviter ainsi les blessures. De son côté, Lara a un faible pour la cuisine et la pâtisserie, qui permet des résultats concrets et délicieux en moins de temps qu’il ne faut pour monter un concerto! Voici deux exemples qui montrent que le Concours OSM donne aux artistes une plus grande fenêtre de choix pour poursuivre dans la voie qui leur est propre.

«Être musicien est un immense privilège et la crise m’a fait réaffirmer que c’est la place que je veux dans la société.»       — Brian Mangrum

Tu es aujourdhui cor solo de lOrchestre symphonique de Columbus. Quelles qualités sont nécessaires pour être musicien dorchestre, et quest-ce quimplique être cor solo, par rapport aux musiciens de la section ?

BM : L’orchestre, c’est de la musique de chambre à grande échelle. Il faut avoir une bonne compréhension de sa partition par rapport à celle de ses collègues, et il faut un esprit d’équipe. En tant que cor solo, je suis responsable de diriger notre section. Je prends certaines décisions musicales et je gère d’autres aspects fonctionnels, comme notre placement sur scène, la communication entre l’administration et notre section, la rotation de joueurs et de partitions, la liste des musiciens substituts etc. Je pense que le devoir le plus important d’un musicien solo, c’est d’inspirer la confiance et le respect de ses collègues afin d’encourager cet esprit de coopération qui permet un fonctionnement facile de l’orchestre. Ça sonne bien, quand on s’entend bien!

En dehors de lorchestre, est-ce que tu fais de la musique de chambre ou dautres projets musicaux ? Quest-ce que cela tapporte ?

BM : Je joue beaucoup de musique de chambre, le plus souvent en quintette de vents, et je donne occasionnellement des récitals. Je travaille beaucoup avec la section de cuivres de l’Orchestre des jeunes de Columbus et je donne des cours de cor. Cette variété m’apporte beaucoup de plaisir et parfois un peu d’argent! J’adore travailler avec les jeunes, particulièrement ceux qui sont motivés. Durant la pandémie, nous avons monté beaucoup de concerts de musique de chambre en formule distanciée, et ces concerts ont réellement remonté le moral des musiciens et du public.

Quest-ce qui a changé pour toi, en tant que personne et en tant quartiste, depuis la crise que nous vivons?

BM : Aux États-Unis, nous venons de dépasser les 215000 morts de la Covid-19 à cause de la négligence malicieuse de notre gouvernement. Ce qu’on voit aux nouvelles est effroyable, et nous, les musiciens de l’orchestre, sommes passés par une période de quasi-hibernation. J’ai vécu beaucoup d’angoisse et d’incertitude. Maintenant qu’on recommence doucement à travailler, malgré les conditions, je ressens davantage l’importance de ce qu’on fait. La musique distrait et guérit, et le monde a besoin de nous. Être musicien est un immense privilège et la crise m’a fait réaffirmer que c’est la place que je veux dans la société.


Lara, tu poursuis une très belle carrière jalonnée de prix prestigieux, et pourtant tu n’as pas de poste fixe dans un orchestre. C’est donc possible de gagner sa vie sans être musicienne d’orchestre ?

LD : C’est tout à fait possible ! Malheureusement, il semble qu’il y ait encore quelques préjugés envers les musiciens pigistes, même si c’est le cadre de travail que devront adopter la plupart des musiciens actuels. J’ai un immense respect et une grande admiration pour tous mes valeureux collègues pigistes qui persévèrent, se montrent polyvalents et capables d’adaptation. La réalité, c’est que les emplois dans les orchestres sont rares. En ce qui me concerne, je ne suis pas prête à déménager ailleurs dans le monde pour occuper un poste dans un orchestre, car les personnes qui font partie de ma vie et les liens que j’entretiens avec elles sont extrêmement importants, tout comme la ville dans laquelle je vis. Aussi, dois-je accepter de consentir les efforts nécessaires afin de développer ma propre carrière de musicienne pigiste pour atteindre l’équilibre de vie que je recherche. Ce n’est pas du tout une chose facile à faire, mais je suis convaincue qu’aucune carrière en musique ne peut se bâtir sans travailler très fort.

Entre le duo Kalysta, les performances solistes et les activités avec le Centre National des Arts, tu es une musicienne polyvalente! Pourquoi cet éclectisme est-il important pour toi?

LD : Tout en ayant mes habitudes et ma routine, j’aime pouvoir faire chaque jour des choses différentes. Ma créativité est stimulée lorsque j’ai plusieurs projets en cours. Si je bute sur un obstacle, je trouve utile de diriger mon attention ailleurs pendant un certain temps, pour ensuite revenir avec des idées nouvelles. En même temps, il me plaît de ne pas toujours être seule responsable de mes projets artistiques, c’est pourquoi je suis si reconnaissante de pouvoir travailler comme pigiste dans un orchestre. Je trouve aussi que d’avoir une carrière polyvalente me force à développer un large éventail de compétences : marketing, rédaction de demandes de subventions, comptabilité, direction artistique, etc.  Le nombre d’engagements pouvant varier d’une saison à l’autre, il est également important d’avoir diverses sources de revenus. Heureusement, il semble que l’équilibre se maintienne à cet égard.

Quelques encouragements aux jeunes musiciens en cette période d’incertitudes

BM : Quand j’hésitais à embrasser une carrière musicale, mon père me disait : « il y aura toujours de la place au top, alors si tu veux le faire, va pratiquer! » La pandémie va se terminer, et les gens auront toujours envie d’écouter de la bonne musique. L’industrie va probablement changer un peu, mais elle ne va certainement pas s’éteindre. Les circonstances nous prouvent à quel point le monde a besoin de musiciens!

LD : Il y a une citation de Martin Luther King Jr que je dois souvent me remémorer : « Vous n’avez pas besoin de voir tout l’escalier, montez seulement la première marche. » Avec les médias sociaux, nous vivons dans un monde de comparaison et il est incroyablement facile de se blâmer pour ne pas avoir encore accompli telle ou telle chose. Je conseillerais aux jeunes musiciens de comprendre ce que signifie réussir sa carrière (et sa vie !) et de réaliser que son cheminement peut être différent de ce à quoi l’on s’attendait. Dites « oui » autant que vous le pouvez. Ne craignez pas de prendre des risques et d’essayer quelque chose de nouveau. N’oubliez pas que la vie peut vous surprendre. Soyez flexible… et patient. Une carrière ne se construit pas du jour au lendemain. Allez-y, une étape à la fois.